Itinérance
Jeudi 29 mars 2018, la ministre de la Culture a présenté son plan "Culture près de chez vous" [+]
Cette initiative entend permettre de repenser l’aménagement culturel du territoire en favorisant l'itinérance des œuvres et des artistes.
Point de vue
iddac – agence culturelle du Département de la Gironde
Philippe Sanchez, directeur, 21 avril 2018
L’itinérance renvoie au rêve, à la mobilité, à la déambulation quasi romantique d’artistes dans les villes et villages. Elle augure d’une possibilité d’offrir au plus grand nombre l’occasion d’entrer en contact avec une offre culturelle variée, d’être… émerveillé, et de partager cette émotion constitutive de notre appartenance à une même société. Elle ne saurait pourtant se penser sans consolider concomitamment les lieux, les ressources et les acteurs du territoire qui la rendent possible.
Une première précaution serait d’abord de ne pas considérer l’ensemble des lieux, osons le terme, "intermédiaires", comme des seuls relais potentiels de diffusion de spectacles (ou de toute autre forme esthétique) par le truchement de lieux plus "structurés" (souvent labellisés ou de rayonnement territorial), sans qu’un partenariat de confiance, basé sur une reconnaissance réciproque n’ait pu se construire.
En ce sens, les agences de développement territorial peuvent jouer un rôle de passeur (l’iddac s’inscrit en plein dans cette réflexion territoriale car ces enjeux sont au cœur même de ses missions). Pour autant, on ne pourra considérer que le développement territorial se suffit de la mise en place de "tournées" de spectacles, aussi exemplaires soient-elles. En effet, œuvrer au développement des territoires, à la mise en perspective - la mise en projet - de projets artistiques portés par des structures culturelles identifiées ne peut se réaliser sans la prise en compte des enjeux culturels des structures de proximité. Pour illustrer le propos, et avant même le choix de tel ou tel spectacle, c’est la capacité de mobilisation de publics, d’outils de médiation ou de communication, de conditions techniques, d’accueil des spectateurs qui sont d’abord à résoudre du point de vue des structures culturelles "intermédiaires".
Pour elles, cette problématique se pose avant même de penser la confrontation du public à l’œuvre. Les structures culturelles intermédiaires doivent encore bien souvent convaincre leurs propres tutelles que la culture est un enjeu majeur, à un moment où les finances publiques se rétractent et se crispent. L’alimentation de partenariats nouveaux entre les structures labellisées et ces structures intermédiaires ne peut se passer d’une médiation territoriale faite d’allers et retours comme d’un partage de valeurs culturelles et artistiques. C’est se dire aussi, peut-être, que les structures potentiellement ressources sont parfois mal armées pour accompagner ces dynamiques nouvelles : il leur a fallu un travail de plusieurs années pour affiner leur propre projet culturel et ancrer leur lieu de diffusion dans les habitudes des publics. De là à contribuer à la diffusion et au développement de projets dans d’autres lieux ou territoires que les leurs, le défi n’est pas mince. Surtout que, si on peut compter sur l’existence de nombre de lieux intermédiaires ayant réussi à dégager des budgets et à professionnaliser des équipes, les moyens tant financiers qu’humains sont souvent modestes (d’une certaine manière, une des missions d’agences départementales ou régionales est bien de pallier ces déficits structurels en incitant à la coopération territoriale).
Pour préciser les choses : la rencontre de lieux structurés et de lieux intermédiaires se soudera autour d’un projet artistique, mais dans l’esprit d’une reconnaissance réciproque et d’une prise en compte des temporalités et des modalités d’action de chacun. C’est dire encore que la diffusion de spectacles ou d’œuvres peut constituer un mode de développement en même temps qu’elle génère un moment d’émotion pour les publics, mais à la condition de ne pas penser le principe de l’itinérance comme une seule logique de tournée de spectacles ou d’installations d’oeuvres.
Si les bases d’une reconnaissance mutuelle et les enjeux de chacun sont posées, et si l’action s’inscrit dans une temporalité au long cours, alors l’instauration de territoires de projets entre les structures ressources (ou labellisées) et les structures culturelles de proximité (intermédiaires) devient possible. Cela demande du temps et de la disponibilité, de se défaire des présupposés du sachant et de l’apprenant mais de composer un "territoire commun" (nom donné à l’itinérance de la Compagnie du Chat Perplexe sur le territoire de la Communauté de communes de Montesquieu en Gironde, dans le cadre de la préfiguration d’un contrat territorial mené avec l’intercommunalité, la DRAC et l’iddac).
La tâche est encore plus ardue dans d’autres territoires – ils sont nombreux – où sont absents des acteurs constitués ou des moyens véritablement dédiés à la culture. Méfions-nous pour autant des raccourcis, ne considérons pas ces territoires comme des déserts culturels : souvent des forces associatives existent, des lieux ou des outils non spécifiquement affectés à la culture. L’erreur serait d’arriver sans établir les connexions avec la vie locale ou de ne pas réunir les conditions de la rencontre.
Il y a bien à imaginer des modes d’intervention publique. Dans ce contexte, la médiation culturelle et l’éducation artistique et culturelle constituent des leviers qui permettent la structuration progressive des territoires et les aident au fil du temps à assumer des missions culturelles d’intérêt général. Pour exemple, dans le territoire girondin, nous avons pu vérifier que la mise en œuvre d’initiatives puis de contrats d’éducation artistique et culturels répond à des objectifs qualitatifs, mais aussi quantitatifs car ils touchent des populations nombreuses scolarisées ou non. Se structure ainsi un projet multi-partenarial et inscrit dans le temps (plusieurs années). De façon heureuse, découle de ces projets d’EAC une structuration de l’offre culturelle, d’abord pour ces publics, puis pour l’ensemble de la population (Réolais en Sud Gironde et secteur de Podensac, Cubzaguais, Libournais etc.). Dès lors, l’itinérance artistique ou de projets artistiques en lien avec ces objectifs d’éducation artistique devient possible. Il serait sans doute encore profitable d’inscrire la présence d’artistes dans ces territoires, dans le principe de résidences d’artistes prolongées ou pour inventer de nouveaux modes de compagnonnage.
En tout état de cause, on constate que la contractualisation multi-partenariale de politiques en faveur de l’EAC ouvre des perspectives plus larges sur ce que pourraient devenir des conventions de développement territorial (l’Histoire se répèterait-elle ?). A noter encore (est-ce un hasard) que – prenons le cas du Département de la Gironde - nombre de communes ou d’intercommunalités construisent ou aménagent de nouveaux équipements dédiés au spectacle vivant (Le Teich, Saint-Jean d’Illac, Saint-Savin, Saucats, Camblanes-et-Meynac, Portets, le Réolais, etc… qui se rajoutent à Saint-André-de-Cubzac, Libourne, La Teste de Buch, Langon…). Même s’il y a pour beaucoup de ces collectivités à préciser le projet culturel et les moyens à y consacrer, ce sont des partenaires "intermédiaires" de demain et des partenaires d’itinérance, en résonnance avec des structures ressources souvent basées sur l’agglomération girondine.
Favoriser les implantations artistiques territoriales dans le temps permettrait de ne pas seulement poser le rapport public / artiste comme une performance, le temps d’un spectacle en salle, mais de contribuer véritablement à la présence artistique dans les territoires. Conscient de ces enjeux, nombre de projets artistiques participent de ce mouvement dans le principe même de leur processus de création (De Chair et d’Os, Le Chat perplexe, L’Atelier de Mécanique Générale Contemporaine, La Grosse Situation…). D’autres formes, de rue et de cirque (à l’image des chapiteaux allant de places en places) peuvent constituer des leviers de développement extrêmement importants.
L’itinérance est donc à construire avec l’ensemble des acteurs en présence, en faisant en sorte que les lieux labellisés ou structurés se posent dans un rôle de ressource et non de prescripteur. C’est à ce moment seulement que la rencontre avec les lieux et les équipes de proximité peut s’écrire dans un projet partagé. C’est un bel enjeu, les lieux structurés devenant structurants pour des structures intermédiaires qui n’aspirent elles-mêmes qu’à se développer et être reconnues dans leur rôle de proximité. Contribuant ensemble à un maillage du territoire, les bases de l’itinérance deviennent possibles.
Enfin, il importe encore de participer à la structuration au long cours de cette présence artistique comme à celle de l’emploi culturel : pas de projets sans professionnels, pas de développement artistique sans présence artistique renforcée au cœur de ces mêmes territoires. Les rôles et les modalités d’agir des lieux structurants (labellisés) comme ceux des outils des collectivités territoriales (et de leurs agences) et de l’Etat sont à faire converger pour que cette itinérance permette tout à la fois d’enrichir l’offre culturelle et l’émotion vécue par les publics.
De la notion de publics, il faut dès lors penser plus largement à la notion d’habitants et articuler les moyens engagés dans l’éducation artistique territoriale, la structuration et le soutien de l’emploi culturel, conforter des scènes de territoires comme les lieux labellisés ou ressource, et favoriser la présence d’artistes dans les territoires (du spectacle vivant, des arts visuels, de l’écriture…).